Lorsqu’en avril 1915, Le Général Joffre passe en revue les troupes de Lorraine, son aura a déjà perdu une partie de son lustre: les témoins (Madeux, Galliet) se contentent de mentionner sa venue.
Joffre, officier du génie, s’était fait nommer en 1911 chef des Armées françaises, malgré une carrière sans relief et presque sans commandement, les gouvernements républicains faisant passer la loyauté envers le régime avant la compétence . Dès le début de la guerre, le Général est cependant apparu beaucoup moins malléable qu’on ne le pensait et ses nombreux défauts furent mis au jour trop tard: on ne change pas de cheval au milieu du gué!
Excellent logisticien, il réussit à merveille la concentration des troupes lors de la mobilisation, mais la guerre nécessitait d’autres qualités de stratégie et d’imagination dont il manquait singulièrement. Il aurait eu besoin d’être bien entouré mais il n’écoutait personne en dehors de sa camarilla de “jeunes turcs”, colonels d’Etat-major, chauds partisans de l’offensive à tout prix, trop inférieurs en grade pour lui faire de l’ombre.
“Très jaloux de son autorité, il a tenu ses commandants d’armées à l’écart, négligeant de les consulter dans la plupart des cas.” Rapporte Langle de Cary dans ses Mémoires. Sachant être aimable avec les ministres, il est cassant avec ses subordonnés, toute résistance se payant très cher (sanctions et limogeages).
Ses nombreux échecs, à commencer par la bataille des frontières en août 14, menée en dépit du bon sens qui valut à la France d’être envahie et de frôler la défaite d’un cheveu, auraient du le faire écarter par le Président Poincaré et le chef du Gouvernement Viviani, si la miraculeuse victoire de la Marne ne l’avait pas remis durablement en selle. Il faudra attendre la fin de l’année 1916 pour qu’il soit écarté du commandement, gratifié, comme consolation du titre de Maréchal de France.
C’est à son entêtement et à l’incapacité des plus hautes autorités de l’Etat à le contrôler que l’on devra en 1915 au cours de nombreuses “vaines offensives”, la mort de 370 000 soldats au champ d’honneur, 31 000 par mois, pour un gain de 4km en Artois et 5km en Champagne. Ce fut du côté français, l’année la plus meurtrière de la Grande Guerre.
“Je les grignote” disait Joffre à propos des Allemands”… les tentatives de Joffre ne furent « pas plus effectives que le grignotement d’un coffre-fort d’acier par une souris, mais les dents qui s’y usaient étaient les forces armées de la France” remarque l’auteur britannique Basil Liddel Hart, plus objectif que bien de ses homologues français.
Maurice Genevoix qui vient de vivre aux Eparges un hiver épouvantable, désabusé, évoque ainsi la revue des troupes par le Généralissime Joffre: “…Ai-je jamais vu dans un cirque de prés entouré de collines, les lignes roides des bataillons en armes, la limousine du Général Joffre, les cuivres des clairons sonnant l’ouverture du ban pour des gloires que nous ne pouvions pas comprendre(…) Nous autres nous ne pouvons plus nous tromper; nous avons trop appris, trop vu; nous n’avons même plus à juger.”