Le 2 août , Léon se trouve donc au fort de Belfort, à la porte de l’Alsace et justement la stratégie du Généralissime Joffre (sa seule stratégie d’ailleurs, on le verra plus tard) prévoit pour des raisons politiques et sentimentales d’entreprendre la reconquête de la province perdue…
La frontière est franchie dès le 7 août, avant même que la concentration des troupes ne soit achevée et le Général Curé entre triomphalement à Mulhouse le 9 août . « Le mordant de nos troupes a été prodigieux » se félicite Joffre. Hélas le succès fut de courte durée et c’est dès le lendemain le repli sur Belfort « à toutes jambes ». Les Allemands qui avaient bien entendu anticipé depuis longtemps ce besoin de reconquête des Français, avaient bien pourvu la région en ouvrages défensifs et s’étaient vite ressaisis après cette première attaque ! Vu l’importance symbolique de l’enjeu, l’Etat-major met le paquet avec une seconde offensive plus importante qui permet le 19 août de réoccuper Mulhouse qui sera cependant aussitôt reperdue, ce qui vaudra sa disgrâce au Général Bonneau.
Mais revenons à Léon, (qui je le rappelle était par son père d’origine alsacienne) et au 171e régiment d’infanterie. Dès le 6 août le Régiment est chargé de missions de reconnaissance, puis se porte en Alsace. Il tourne à l’arrière des troupes chargées de l’offensive sur un territoire qui va de Belfort à Mulhouse. Le journal de marche cite ces mouvements entre les localités de Rastatt, Roppe village, Dammarie, Montreux-le-vieux, Bethonvilliers, Soppes-le-bas, Félon, Montreux-le-jeune, la Chapelle-sous-Rougemont. (une surface à peu près carrée de 40km environ de côté). Ce mouvement limité s’explique par le fait que ce corps avait pour tâche principale de défendre Belfort, ce qui impliquait qu’il ne s’en éloigne pas trop ! Par ailleurs il était composé essentiellement de réservistes, dont l’Etat-major se méfiait beaucoup au début de la guerre (contrairement aux responsables allemands qui misèrent sur leurs réservistes dès le début des hostilités). Donc on avait tendance à les considérer comme des « seconds couteaux ». Cependant cette anecdote relatée dans ses mémoires par Charles Galliet, sergent lui aussi au 171e RI, est caractéristique des sentiments que pouvait éprouver la troupe pendant cette « drôle de guerre »:
« L’Alsace!! nous l’avions aimée tout au long des années de notre enfance depuis l’école où nos instituteurs du bout de leur baguette montraient sur les cartes murales la tache sombre des départements perdus, nous l’avions aimée tout au long de nos années de jeunesse lorsque dans nos familles on chantait pendant les veillées les couplets nostalgiques de la vieille province.
Nous évoquions ces souvenirs en arrivant dans la forêt quand nous vîmes dans le fossé du chemin deux tertres, deux tertres et deux croix, le premier c’était celui d’un dragon français, le deuxième celui d’un uhlan.
La guerre c’était aussi cela, et pas seulement des drapeaux déployés sur la terre conquise; et le silence dans la colonne se fit soudain et sans commandement. »
Peu d’incidents majeurs donc pendant cette période, sauf le 12 août où une cannonade sur Montreux-le-vieux blesse mortellement un capitaine.
Le 28 août le Régiment est à La Chapelle-sous-Rougemont pour exercer une mission de « Résistance et surveillance »
Le 1er septembre une patrouille cycliste essuie vers Gervenheim les coups de fusils d’une patrouille cycliste allemande.
Le 4 septembre à Félon, la troupe est occupée à réaliser des ouvrages de fortifications.
Les jours gratifiés d’un « rien à signaler » émaillent le journal de marche, en belles cursives.
Mais les choses sérieuses vont commencer…
Le 9 septembre, le Général dirigeant les opérations d’Alsace demande l’aide des « troupes de Belfort » qui se portent à Thann ; celles-ci essuient de violents tirs d’artillerie et un orage ayant avancé la nuit, retournent à Félon, ce qui, précise l’officier qui rédige le rapport, « n’est pas un repli mais la suite logique de l’opération ».
30 blessés sont à déplorer dans ce premier combat. Mais la troupe a été jugée par ses supérieurs « pleine d’allant et d’énergie au feu », (ouf, ils sont rassurés !)
Il y eut même des actes d’héroïsme: voir l’article suivant, relatant la mort héroïque du Sous-lieutenant Le Brizec.
Le 10 septembre, encore plus sérieux, puisque le combat du Pont d’Aspach auquel participe la 1ère compagnie, celle de Léon, « rejette énergiquement l’ennemi vers le nord, » ; 14 prisonniers sont faits chez les allemands ; on déplore 11 tués, 71 blessés et 41 disparus.
« le résultat de ce petit engagement a été de fortifier l’énergie et l’audace de la troupe; les pertes pénibles subies par le Régiment engendrent des élans au lieu de les diminuer », se félicite le Colonel Pallu.
Ce combat du Pont d’Aspach passe pour une des rares victoires françaises dans cette région, ce qui a valu l’édition de cartes postales, comme celle-ci, trouvée aux puces de Vanves.
Le 14 on s’occupe des blessés et de recueillir des renseignements sur les officiers disparus.
Les jours se suivent ensuite sans beaucoup d’incidents, les «rien à signaler », fleurissent à nouveau sur le journal de marche.
Le 23 septembre, cantonnement à Rougemont-le-Château (territoire de Belfort) d’où Léon enverra une carte postale à ses tantes. Il y fait allusion à son cousin Paul PEQUIGNOT, sous-officier d’active, qui sert dans la même région.
Le 27 septembre, « Rien à signaler »… mais une surprise attendra les soldats le lendemain. La période alsacienne qui a vu leur baptême du feu n’était que de la petite bière (si je puis dire) par rapport à ce qui va suivre !