« Il semble, à présent, que nous soyons nés pour faire la guerre, coucher dehors par n’importe quel temps, manger chaque fois qu’on trouve à manger, et tout ce qui peut se manger. Vous avez une nappe sur votre table ? Des cuillers, des fourchettes, toutes sortes de fourchettes, de verres, de tasses, et quoi encore? Nous avons, nous, notre couteau de poche, notre quart, nos doigts et ça suffit… » écrit Maurice Genevoix à sa famille.
Manger, c’est à la guerre comme à la guerre, quand on peut et comme on peut !…
En général très mal lorsque l’on se trouve dans les tranchées, parce que les cuisines sont installées à l’arrière, dans des endroits protégés, comme à Marbotte, au pied du Bois d’Ailly, abritées dans des excavations à flanc de colline. La nourriture doit être acheminée sur plusieurs kilomètres, à dos d’homme, dans de grands « bouthéons », le café (le « jus ») dans des seaux de toile, le pain (« les boules ») dans des sacs. Tout cela arrive froid à destination, et il n’est généralement pas possible de réchauffer, ce qui rend l’ordinaire déjà peu appétissant: haricots, nouilles collantes, riz au gras, singe (bœuf en conserve filandreux), encore plus affreux. Et parfois le ravitaillement n’arrive pas parce que les cuisiniers ont été attaqués en route ou se sont perdus, il faut alors passer de longues heures le ventre vide, parfois même sans rien à boire.
Au cantonnement, c’est généralement mieux, d’abord parce que l’on mange chaud :
Maurice Genevoix encore : « Et nous mangeons, enfin, des biftecks graisseux qui brûlent les doigts ; nous buvons le jus, sans sucre, mais bouillant, et dont la bonne chaleur coule dans notre corps comme une onde vivifiante… »
Et puis les commandants de compagnie gagnent en popularité en faisant améliorer l’ordinaire: une meilleure viande, des fruits, de la bière… sont dénichés dès qu’un peu d’argent a été récupéré. Le Sergent-major Galliet raconte qu’un fourrier ayant acheté à un pâtissier de Commercy toute sa fournée de madeleines (la spécialité locale), celles-ci durent être réparties en catastrophe pour monter au front, ce qui n’était pas prévu !
Les familles des soldats ont aussi à cœur de les réconforter en leur envoyant, outre toutes sortes de vêtements chauds, des provisions et des friandises. On peut parier que dans les colis des Franc-comtois se trouvaient souvent des saucisses de Morteau et de Montbéliard, ou encore du metton de cancoillotte à faire fondre sur les feux de camp de l’arrière.