Nous avons donc laissé Léon et ses camarades en cantonnement à Rougemont-le-Château, à côté de Belfort.
Le 28 septembre, changement de décor : le 171e Régiment d’Infanterie est transporté à Lérouville dans la Meuse « en trois trains », arrivés sur place le 29 entre 4h et 11h du matin.
C’est la gare la plus proche du « saillant de St Mihiel », du nom de la localité meusienne venant quelques jours auparavant d’être prise par les Allemands, qui ont également pris les hauts de Meuse, collines surplombant le fleuve, position considérée comme stratégique et que les responsables français estiment indispensable de reprendre ; elle protège en effet Verdun, déjà très convoitée par les Allemands.
Deux heures de repos qui permettent d’avaler une soupe et la troupe commence à se diriger vers les crêtes de Meuse; là se trouve le Bois d’Ailly, dont le nom poétique cache des ruisseaux de sang.
« La guerre semblait venir à notre rencontre; des paysans fuyaient la bataille, chassant devant eux leurs troupeaux, des chars passaient chargés de ce que leurs conducteurs avaient pu sauver de leurs maisons, et dans tout cela, suivant le même chemin, des ambulances d’où s’échappaient des plaintes de blessés et des odeurs de pharmacie… » note Charles Galliet
Le 3e bataillon est envoyé dès la descente du train à l’attaque, pour « renforcer une ligne de feu établie au sud-est de ce bois ». Il progresse sur le chemin qui borde le bois à l’est, mais « est rejeté dans le ravin ».
Une bande de papier collée sur le journal de marche cache sans doute les pertes de la journée du 29 septembre qui seront récapitulées ultérieurement .
L’offensive française qui vise à protéger Commercy va durer jusqu’au 1er octobre, violente, causant beaucoup de pertes:
Charles Galliet: « c’était autour de nous le massacre de tout, de la nature et des hommes; on nous tuait à genoux, on nous tuait allongés, les branches déchiquetées tombaient sur les corps; dans cet enfer nous tirions sans arrêt, jusqu’à l’épuisement complet des munitions... »
le journal de marche: « on tente vainement de sortir des tranchées sous le feu extrêmement violent de l’ennemi qui paraît s’être renforcé».
Le 2 octobre, le JMO récapitule :
Tués : 1 officier, 13 sous-officiers, 79 soldats
Blessés : 18 officiers, 39 sous-officiers, 32 soldats
Disparus (ce qui veut dire la plupart du temps tués) : 3 officiers, 7 sous-officiers, 330 soldats
La bataille se poursuit les 3 et 4 octobre, avec une vingtaine de pertes par jour.
Puis tout le Régiment part cantonner (c’est à dire se reposer à l’arrière, dans des conditions que l’on évoquera plus tard) jusqu’au 7 et on inscrit alors : pertes néant
Le 12 octobre, les 11e et 12e compagnies qui étaient restées en réserve remontent en 1ère ligne. Elles succèdent à la 1ère compagnie (celle de Léon) qui vient de reprendre les tranchées « perdues la veille par le 134e (un autre Régiment d’Infanterie), oh les vilains ! »
Les pertes émaillent à nouveau le JMO.
Le 21 octobre, nouvelle arrivée de renforts (les trous sont rebouchés dans les effectifs des compagnies!)
Puis le va-et-vient continue entre les tranchées de 1ère ligne et la réserve en arrière jusqu’au 24 octobre.
Le 25 octobre, le JMO recopie l’ordre général n° 121, émanant du QG de Commercy :
« Depuis le commencement du mois d’octobre les troupes du 8e C.A. et de la Brigade de Belfort (souligné dans le texte) ont livré, dans la forêt d’Apremont et dans la vallée de la Meuse une série de combats meurtriers sans cesser un seul instant de témoigner de leur bravoure, de leur endurance et aussi de la plus stricte discipline.
Toutes les unités ont occupé au cours des opérations des postes dangereux ou pénibles devant le village d’Apremont et le Bois Jurat, à la redoute du bois Brûlé, dans les forêts d’Apremont et de Marbotte, devant le Bois d’Aillly, dans les presqu’îles de la Meuse et les éloges du présent ordre s’adressent à toutes… »
Signé par le Général de Mondésir Cdt la 8e C.A.
On verra que l’ordre général n° 122, recopié dans le journal de marche le lendemain 26 octobre sera d’une toute autre nature.