Noël au front

Jamais les soldats, partis en août repousser l’ennemi par une campagne prévue rapide, n’auraient imaginé se trouver encore au front à Noël! Triste Noël que celui de 1914: blottis dans les tranchées, les soldats auront tout loisir de se rappeler à quel point cette fête pouvait être douce au sein de leur famille.

Le Pape Benoît XV, fraîchement nommé pour succèder à Pie X, dont on peut dire qu’il était mort de consternation juste après la déclaration de guerre, avait bien essayé par discours et encyclique d’enjoindre les belligérants de cesser le combat. Ayant échoué, son discours pacifiste étant inaudible par toutes les parties en présence, même catholiques, il tenta de négocier à tout le moins une supension des combats le 25 décembre: que les armes se taisent une journée pour faire place au recueillement, est-ce trop demander ? Mais les réponses à cette proposition furent au mieux dilatoires, au pire négatives, chacun des pays se jugeant dans son bon droit et pressé d’en finir avec le camp d’en face : il n’y eut donc pas de trève de Noël .

Et pourtant ce que les chefs militaires et politiques avaient refusé officiellement, les hommes vont le réaliser spontanément : la nuit de Noël, sur plusieurs endroits du front, des scènes de fraternisation eurent lieu entre ceux qui, la veille encore échangeaient coup de fusil et obus. On chante d’une tranchée à l’autre des chants de Noël, on s’applaudit, parfois on s’avance entre les lignes pour échanger des cigarettes et du chocolat. Les journaux anglais, trouvant cela chevaleresque en rendront compte ; du côté français, tout fut fait pour minimiser ces « incidents » et , officiellement du moins, il ne s’est rien passé pendant la nuit de Noël 1914.

Léon dans sa tranchée, transi de froid car il gelait depuis le mois de novembre dans la Meuse, aussi fervent chrétien que patriote, a du se poser bien des questions sur la nécessité où il était de tirer sur des soldats bavarois, catholiques comme lui. On ne sait pas si, au Bois d’Ailly, il y eut des échanges entre les lignes ennemies, situées à quelques dizaines de mètres de distance ; en tout cas le journal de marche n’en dit rien.

Le 171e régiment d’Infanterie eut un tué pendant la journée du 25 décembre.

Nouvelles tentatives au Bois d’Ailly

Le 17 novembre, une action est menée par le Lieutenant Colonel Bénier, nouveau patron du 171e: il a reçu l’ordre d’attaquer le saillant sud-ouest du Bois d’Ailly, de manière à prendre le rentrant ennemi désigné par un A sur le croquis ci-dessous, avec l’aide d’éléments du 172e et de plusieurs compagnies du 56e. Un certain succès est obtenu, les troupes engagées gagnent du terrain sur une profondeur de 70 à 80 m. Les hommes creusent alors des tranchées et se mettent à l’abri derrière des boucliers pour « s’assurer un front intangible en vue d’une progression ultérieure ».

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On peut penser que la compagnie de Léon se trouvait dans les tranchées déjà occupées par le 171e en première ligne et fut chargée du lancement de grenades. L’attaque supendue à 12h20 pour permettre des reconnaissances reprend à 15h40, mais la progression est faible (une trentaine de mètres !) et on doit se rendre à l’évidence de l’impossibilité d’avancer davantage dans un terrain aussi difficile (fourrés inextricables).

Pour le 171e les pertes seront de 7 blessés et 1 disparu. Par contre la 12e compagnie du 56e subira des pertes sensibles.

Le 24 novembre le Journal de Marche mentionne que le Lieutenant-colonel de Certain prend le commandement du 171e et que le lieutenant-colonel Bénier passe au 172e (il n’était à la tête du 171e que depuis le 1er novembre !)

Le 26 novembre une nouvelle attaque est tentée impliquant cette fois le 2e bataillon (ne concernant donc pas Léon). Les Français, soigneusement disposés en colonnes par les stratèges qui les dirigent, quittent leurs tranchées, font 25m et sont accueillis par un feu ennemi violent, ils se terrent après avoir éprouvé de lourdes pertes et ne progressent plus ; à cela s’ajoute que la dernière compagnie qui devait être engagée « reçoit 3 obus malheureux » (c’est à dire venant par erreur de l’artillerie française !) qui met hors d’état de combattre « 83 hommes en deux minutes ».

Dans ces conditions l’attaque sera suspendue. Pertes : 2 officiers et 253 hommes de troupe tués.

Le chef du 2e bataillon s’adresse en ces termes à ses supérieurs :

« J’ai le devoir de vous signaler l’extrême fatigue des hommes. En réserve de secteur le 18, employés depuis cette date, ils n’ont pour ainsi dire pas eu une nuit de sommeil. Les deux journées du 26 et du 27 ont été notamment très dures pour eux.

J’ai rendu compte du fait au Colonel Valentin en spécifiant bien que je ne prétendais pas soustraire mon bataillon aux devoirs qui pourraient de nouveau lui incomber, mais simplement renseigner le Commandement sur le degré de résistance qu’on pourrait en attendre. »

Du 27 novembre au 14 décembre, c’est « sans changement » avec toujours les pertes quotidiennes : tués, blessés, ou néant

Le 14 décembre cependant quelques lignes font sobrement état d’un réel succès qui concerne le bataillon de Léon:

« le 1er bataillon du 171e occupant les tranchées de 1ère ligne a enlevé le poste ennemi en avant de la droite de la zone gardée par lui et a commencé l’organisation de l’élément de la tranchée enlevée. »

 

Les pantalons rouges

Les fantassins –auxquels appartenait Léon- sont partis à la guerre vêtus de pantalons rouge garance. Pourquoi une telle couleur si voyante ? Eh bien parce que l’armée française avait bien du mal à évoluer ! Certes des avertissements avaient été lancés avant la guerre, se référant à la guerre des Balkans ; par ailleurs toutes les grandes armées européennes étaient déjà dotées de tenues moins exubérantes, de manière à se fondre dans le paysage (vert-de-gris en Allemagne, kaki en Grande-Bretagne).

En 1911, le Ministre Messimy avait bien essayé de faire adopter la couleur vert réséda, mais cela souleva un tollé et des envolées lyriques du genre : « Supprimer le pantalon rouge ? Non ! Le pantalon rouge c’est la France ! » (Eugène Etienne, Ministre de la Guerre). Moyennant quoi les soldats français gardèrent leurs pantalons garance, traditionnels depuis… 1829 !

Et puis il fallait bien assurer un débouché aux industries des draps garance du sud de la France.

Les hécatombes de fantassins en août 1914, bien repérables sur fond de terre ou de chaume incita les autorités à prévoir un drap de couleur plus neutre et c’est le bleu horizon qui fut adopté. Un certain temps fut cependant nécessaire pour confectionner les uniformes. On verra plus tard à quel moment Léon recevra sa nouvelle tenue.

Sur la tête du fantassin un képi, rouge lui aussi, vite camouflé par un bandeau bleu, pour que les têtes ne servent pas de cibles ! Pas de casque : les premières calottes d’acier, lourdes et peu pratiques apparaitront assez vite; les premiers casques seront distribués en 1915.

Sur son dos un fourniment de 30 kilos : musette et bidon en sautoir, pour transporter vivres et vin. Cartouchière autour de la taille pour le fusil Lebel. Sur le sac une couverture roulée et une toile de tente, plus la lourde capote bleue, lorsqu’il fait trop chaud pour la porter. Sans oublier, la baïonnette, la gamelle et une petite pelle !

La Marne, et puis après?

Les Allemands ont donc été arrêtés sur la Marne le 9 septembre. Les deux armées sont complétement épuisées par l’énorme effort qui vient d’être fourni et les Français ne profitent pas suffisamment de leur avantage : les Allemands arrivent à se rétablir sur l’Aisne et à s’y maintenir grâce à des tranchées creusées hâtivement. De l’Aisne à la Suisse le front s’est figé, long serpent de tranchées. Chacun des deux camps entreprend alors d’essayer de déborder l’autre.

Une folle course se déroule alors, à partir de la mi-septembre, de l’Aisne à la Somme, de la Somme à l’Artois, puis vers Lille. A Nieuport, il faudra stopper sans avoir pu tourner l’adversaire : ce sera « la course à la mer ».

Falkenhayn, nouveau chef d’état-major général allemand voit bien qu’il ne pourra pas déborder mais souhaite quand même atteindre les ports de la Manche et jette dans la bataille des troupes fraiches de jeunes étudiants fougueux, animés d’une foi patriotique intense. Le choc frontal se produira dans la plaine de l’Yser, entre Nieuport, Dixmude et Ypres.

Côté français, Foch, tant bien que mal, a réussi à organiser un « invraissemblable magma » de toutes armes et de toutes races. Les fusiliers marins bretons, les tirailleurs sénégalais, les marocains pour ne citer qu’eux, paieront un tribu particulièrement lourd dans cette bataille, mais résisteront.

Les Anglais dont l’armée était aussi composée de soldats de provenances disparates, furent admirables de ténacité (cf la bataille du Mont Kemmel où 2000 cavaliers anglais empêchèrent trois divisions ennemies de trouer nach Kalais !).

De leur côté, les Belges, animés par le Roi Albert, le « Roi-chevalier », repliés sur une bande de sable le long de la Mer du Nord se résigneront le 28 octobre à ouvrir les vannes des écluses à marée montante, inondant ainsi la rive gauche de l’Yser, stoppant net la progression des Allemands. Tant pis pour le Kaiser qui avait déjà prévu une visite dans Ypres conquise, pas plus qu’à Paris il n’y entrera en grande pompe !

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le front stabilisé de la Suisse à la Mer du Nord

De l’autre côté du front, en Lorraine, à un endroit qui intéresse notre récit, se déroulait la dernière grande bataille de la fin septembre : le Kronprinz et ses troupes bavaroises, fit une poussée en direction des Hauts de Meuse, avec l’idée sans doute –déjà- d’atteindre Verdun. Bloqué sur ses deux flancs, aux Eparges et dans la Forêt d’Apremont, il réussit à prendre St Mihiel, créant ainsi une hernie, ou saillant. Dès la fin de septembre, les Français tentèrent de reprendre ce terrain perdu ; ce furent les combats auxquels participèrent Léon et ses camarades du 171e (voir les articles « Au Bois d’Ailly »)