Sources:
JMO du 171e Régiment d’Infanterie
Lettre de Maurice Martin-Laval, figurant dans le recueil Paroles de Poilus (Librio)
Carte postale de la ferme du Chamois trouvée sur internet
Sources:
JMO du 171e Régiment d’Infanterie
Lettre de Maurice Martin-Laval, figurant dans le recueil Paroles de Poilus (Librio)
Carte postale de la ferme du Chamois trouvée sur internet
A la date du 22 mars, le Journal de marche détaille les différentes étapes de l’attaque si minutieusement préparée.
Comme d’habitude, les prévisions étaient honteusement optimistes et les hommes du 3e bataillon, courageusement lancés à l’assaut des lignes ennemies, se heurtent aux fils de fer (pas encore appelés “barbelés”) que l’artillerie n’avait pas réussi à détruire: comment activer les cisailles sous le feu nourri des Allemands, bien à l’abri dans leurs tranchées?
Florilège:
“Cette compagnie est prise sous un feu violent partant du rentrant sur son flanc droit. Le Capitaine, deux chefs de section, de nombreux hommes sont tués.”
“Tous les gradés et hommes qui essayent de couper les fils de fer sont tués ou blessés et restent supendus dans ces fils de fer.”
“le reste des premiers échelons, tapi contre les réseaux ne peut lever la tête sans être fusillé. Tous ces hommes creusent la terre pour faire une tranchée…”
L’attaque de la Ferme du Chamois, à proximité de Badonviller en Meurthe-et-Moselle est un exemple typique de ce que l’on a appelé “les vaines offensives de 1915”: il y en eut des dizaines tout au long du front pendant cette terrible année, la plus meurtrière de toute la guerre.
Maurice Martin-Laval, médecin-auxiliaire, dans une longue lettre à sa soeur, datée du 22 février 1915, décrit par le menu une telle offensive, très similaire à celle du 22 mars:
“…trois lieutenants commandant chacun une section à 200 m d’intervalle (…) se promènent pensifs dans la tranchée. A quoi servira cette attaque, se disent-ils; nous ne pourrons jamais arriver au but, car les réseaux de fil de fer nous en empêcheront et par la suite nous sommes tous destinés à nous faire tuer sur place… Mais que faire? L’ordre d’attaquer est formel, il faut marcher.
(…)Des trois points les petits groupes s’avancent en criant et chantant, baïonnette en avant, au pas de gymnastique, vers la tranchée boche où ils doivent converger. Chaque groupe est ainsi constitué: un lieutenant, derrière lui six sapeurs du génie, sans fusil, armés de boucliers d’une main, d’énormes cisailles de l’autre (pour couper les fils de fer). Derrière eux toute la section, et fermant la marche, six sapeurs portant des pelles et des pioches, pou travailler sitôt arrivés dans la tranchée boche à la défense de celle-ci.
(…)Successivement chacun des lieutenants tombe frappé mortellement à la tête: les hommes, tel un château de cartes dégringolent tour à tour; ils continuent tout de même; quelques uns arrivent jusqu’aux fils de fer: ils sont trop gros hélas! Leur sergent tombe, un autre aussi. Que faire?…Avancer? Impossible! Reculer? De même… et tandis que froidement, à l’abri de leurs tranchées et de leurs boucliers, les Allemands visent et descendent chacune de ces cibles vivantes, les hommes se couchent là, grattant la terre de leurs doigts pour amonceler un petit tas devant leur tête et tâcher ainsi de s’abriter contre les balles.”
Il termine ainsi sa missive : “Et que penser (tant pis si la censure arrête ma lettre), je ne cite d’ailleurs pas de noms, que penser de certains chefs qui lancent des hommes sur un obstacle insurmontable, les vouant ainsi à une mort certaine et qui semblent jouer avec eux comme on joue aux échecs, avec comme enjeu de la partie, s’ils gagnent, un galon de plus.”
Le journal de marche précise les « pertes totales » pour le combat du 22 mars:
« 90 tués, 137 blessés, 28 disparus (restés dans les réseaux de fil de fer) »
Pour cet article, j’ai utilisé:
Ceux de 14 par Maurice Genevoix,
Les souvenirs de Charles Galliet, déjà cités.
La photo de Léon Mühr, dont l’original mesure 2cm x 3cm, était rangée soigneusement avec d’autres souvenirs et des cartes postales, dans un album dédié à sa famille par Françoise Menneglier-Creusot.
Napoléon, toujours considéré en 1915 comme le dieu de la guerre disait : « Faire la guerre c’est attaquer ! », alors on attaque… même si les chances de l’emporter sont extrêmement faibles.
L’Etat-Major s’hypnotise sur un nouveau dogme, celui de la percée de cette muraille que constitue le front figé de la Suisse à la Mer du Nord: une fois la ligne ennemie enfoncée à un endroit donné, le front craquera ; le manque criant de réserves d’obus ne permettant pas cependant de réaliser ce plan dans l’immédiat, en attendant des les reconstituer pour de grandes opérations, on va essayer de « grignoter ». Et puis pense-t-on dans les bureaux douillettement installés à l’arrière, le séjour aux tranchées finit par amollir le soldat, il faut soutenir son moral et sa combativité en lui imposant des offensives.
En mars 1915, le Général commandant la 141e Division en concocte une dans le secteur lorrain de Badonviller et de la Ferme du Chamois, position jugée stratégique occupée par les Allemands; on va donc entreprendre de les en déloger.
Le secret absolu sur cette opération doit être gardé : le mot « Secret » barre d’ailleurs la marge de certaines de ces sept doubles pages d’instructions consignées dans le journal de marche du 171e RI. Plusieurs Régiments sont impliqués dans cette attaque, mais c’est le 171e, considéré comme un Régiment d’élite, qui est chargé de l’attaque proprement dite « L’emploi du 171e est prévu pour une mission offensive à l’exclusion absolue du service des tranchées ».
Arrachés le 19 mars -sans aucun signe avant-coureur, on l’a vu- de leur cantonnement de Flin, les soldats se rendent à Vaqueville, douze kilomètres plus loin. « Le lendemain, écrit Charles Galliet, le bataillon bouclait les sacs et partait plus avant, il s’agissait disait-on, d’une reconnaissance dans le genre de celle que nous avions faite en Alsace, avec retour probable le lendemain ».
Paul Madeux précise quand même : « C’est dans ce nouveau village que l’on nous prépara à une attaque : distribution de vivres, de cartouches, de cartes, recommandations multiples, revues etc… De ma grange je voyais nos grosses batteries harceler déjà le boche : cela commençait à donner à réfléchir. »
Le 21 mars, le Colonel Suberbie, chef du 171e RI, détaille par le menu dans le journal de marche la stratégie qui sera employée, croquis à l’appui, et précise le rôle de chaque bataillon : le premier (celui de Léon) aura la fonction de soutien, le deuxième sera placé en réserve, le troisième effectuera l’attaque proprement dite.
L’offensive est prévue pour le 22 mars, à l’aube.
Le déplacement des troupes étant décidé en haut lieu, dans le plus grand secret, l’Etat-major du Régiment est averti de ces mouvements au dernier moment par un ordre qui est recopié fidèlement dans le journal de marche. Tout est prévu jusqu’aux plus petits détails d’intendance, de façon très tâtillonne, ce qui laisse peu de marge de manœuvre au Colonel qui le dirige. Lors du compte rendu ultérieur, il devra expliquer les raisons pour lesquelles le plan n’a pu être complétement respecté.
Ayant séjourné depuis le 18 février dans les villages autour de Commercy, « le temps ayant été uniquement employé à faire des manœuvres sur le plateau au-dessus d’Euville ou à des marches avec chargement complet du côté de Sorcy», note le Caporal-fourrier Madeux, la troupe va reprendre la route le 2 mars. Trois mille hommes vont marcher par compagnies suivant l’itinéraire prévu jusqu’à Sepvigny (« petit village très propre », apprécie le même).
Ils passent par Vaucouleurs, ce qui exalte le patriotisme des jeunes gens bercés depuis leur plus jeune âge aux récits patriotiques, celui de Jeanne d’Arc en particulier : « Le 3 mars, nous partions à pied en direction du sud, nous traversions Vaucouleurs… à ces trois syllabes semblait faire écho le pas cadencé qu’on nous avait ordonné dans la traversée de la petite ville. »
Le cantonnement à Sepvigny est interrompu brusquement le 6 mars (« laissant à d’autres les restes de nos repas » regrette Charles Galliet), la troupe embarquant dans un train de wagons à bestiaux, suffisamment confortables cependant pour des parties de cartes.
« ce n’était pas l’habitude des services de l’armée d’user des transports en chemin de fer pour déplacements sans urgence, toutes les craintes nous étaient permises; alors quand nous fûmes installés dans les wagons, comme nous l’avions fait jadis au départ de Belfort, nous nous penchâmes pour chercher dans la direction prise une réponse à l’interrogation que posait notre angoisse. »
A destination il fut cependant rassuré : il s’agissait de Flin en Meurthe et Moselle, cantonnement de l’arrière du sous-secteur des Vosges.
Il y faisait très froid mais l’accueil des habitants fut chaleureux :
« Au début des hostilités, le pays avait été occupé par les Allemands, puis les troupes françaises étaient revenues ; mais ils n’avaient jamais vu des soldats aussi fatigués que nous parmi ceux qui passaient depuis et régulièrement stationnaient vingt jours chez eux puis vingt jours aux avant-postes. Nous pouvions espérer un semblable repos. »
… mais le repos ne dura que treize jours, le 19 mars ils étaient repartis !
La pire crainte des soldats, exposés à la mort dès qu’ils montent aux tranchées, est de disparaître purement et simplement de la surface de la terre, n’ayant même pas la certitude d’une inhumation décente. On comprend dès lors qu’ils aient eu à cœur de se faire photographier.
Cette technique était en 1915 relativement nouvelle et les appareils photographiques ne s’étaient pas encore répandus dans le grand public.
Maurice Genevoix, en balade à Verdun, après être passé aux bains publics et chez le coiffeur pousse donc la porte d’un photographe, M. Anselme, qui le fait poser devant un rideau peint à l’huile, herbes vagues en camaïeu sous des nuages en volutes harmonieuses : « Levez la tête…. un peu en avant, la jambe gauche… l’air martial, que diable lieutenant ! ». Un beau lieutenant de carte postale dans sa vareuse trop courte, ironisera-t-il en recevant les épreuves quelques semaines plus tard.
Charles Galliet parti en courses à Commercy raconte de son côté : «Nos achats terminés, j’invitai Paine et le conducteur Olivier à casser la croûte au restaurant, il fallait profiter au maximum de l’évasion ; nous passâmes même chez le photographe, un monsieur Gabriel, homme de précaution, qui nous fit payer d’avance et nous demanda l’adresse de nos parents pour leur expédier les dites photos en souvenir de nous si nous n’avions pas l’avantage de vivre encore dix jours pour aller les reprendre nous-mêmes. Nous comprîmes que la confiance en notre destinée était très limitée. »
Le même Charles Galliet signale plus loin qu’à Euville, où le Régiment cantonnera du 18 février au 2 mars, un évêque venu des colonies pour s’y reposer et desservir la paroisse, ayant pour ambition l’embellissement de son église néo-gothique à deux clochers, « s’était fait photographe des soldats de passage qui désiraient leur portrait, le prix était si modique que tous les troupiers faisaient chaque jour la queue devant la cure en attendant leur tour de passer devant l’objectif. »
Il est possible que la photo ci-dessous du Sergent Léon Muhr, ait été réalisée par ce prêtre, ce qui expliquerait le prie-dieu, sur lequel il est installé, assez commode pour faire poser « à la chaîne » tous ces soldats !
Ouvrages utilisés:
JMO du 171e Régiment d’Infanterie
Souvenirs de Charles Galliet, déjà cités
Carnet de route du Caporal fourrier Paul Madeux, trouvé sur le site Ch’timiste.fr
Le Régiment était arrivé le 13 février à Levoncourt dans un piètre état : « qu’ils étaient sales nos frères d’armes après la période de tranchées qu’ils venaient de faire ! Tous étaient en train de se nettoyer, de « décrotter » leurs capotes, en un mot de remettre leur fourniment en ordre ; qu’ils avaient l’air fatigués par ces longues périodes de tranchées ! » s’exclame, dans son carnet, le caporal fourrier Paul Madeux qui vient de rejoindre son unité.
La fatigue des hommes n’empêcha pas leur vaccination contre la typhoïde :
«…Le lendemain, dans une cuisine abandonnée qui servait d’infirmerie, nous offrions notre chair aux piqûres du docteur Chrétien ; il fallait arrêter les ravages de l’épidémie de typhoïde qui sévissait dans nos régiments. J’en souffris peu, beaucoup de mes camarades terrassés par la fièvre demeurèrent pendant deux jours étendus sur la paille des cantonnements ; mais aucun ne murmurait, les séances de vaccination nous assuraient douze jours de repos. » écrit Charles Galliet.
Le 17 février cependant, les soldats furent transférés en « camion automobile » à 30 kilomètres de là, aux environs de Commercy, les bataillons se répartissant entre plusieurs villages : Void, Vacon, Ville Yssey, Sorcy, St Martin et Euville. Comme Vignot ceux-ci étaient d’agréables cantonnements.
« Nous ne pouvions regretter l’aride Levoncourt, mais nous nous retrouvions déjà plus près du Bois d’Ailly. Allions nous donc tourner toujours dans un arc de cercle maudit, autour de la forêt sanglante ? » s’interroge Charles Galliet.