La pire crainte des soldats, exposés à la mort dès qu’ils montent aux tranchées, est de disparaître purement et simplement de la surface de la terre, n’ayant même pas la certitude d’une inhumation décente. On comprend dès lors qu’ils aient eu à cœur de se faire photographier.
Cette technique était en 1915 relativement nouvelle et les appareils photographiques ne s’étaient pas encore répandus dans le grand public.
Maurice Genevoix, en balade à Verdun, après être passé aux bains publics et chez le coiffeur pousse donc la porte d’un photographe, M. Anselme, qui le fait poser devant un rideau peint à l’huile, herbes vagues en camaïeu sous des nuages en volutes harmonieuses : « Levez la tête…. un peu en avant, la jambe gauche… l’air martial, que diable lieutenant ! ». Un beau lieutenant de carte postale dans sa vareuse trop courte, ironisera-t-il en recevant les épreuves quelques semaines plus tard.
Charles Galliet parti en courses à Commercy raconte de son côté : «Nos achats terminés, j’invitai Paine et le conducteur Olivier à casser la croûte au restaurant, il fallait profiter au maximum de l’évasion ; nous passâmes même chez le photographe, un monsieur Gabriel, homme de précaution, qui nous fit payer d’avance et nous demanda l’adresse de nos parents pour leur expédier les dites photos en souvenir de nous si nous n’avions pas l’avantage de vivre encore dix jours pour aller les reprendre nous-mêmes. Nous comprîmes que la confiance en notre destinée était très limitée. »
Le même Charles Galliet signale plus loin qu’à Euville, où le Régiment cantonnera du 18 février au 2 mars, un évêque venu des colonies pour s’y reposer et desservir la paroisse, ayant pour ambition l’embellissement de son église néo-gothique à deux clochers, « s’était fait photographe des soldats de passage qui désiraient leur portrait, le prix était si modique que tous les troupiers faisaient chaque jour la queue devant la cure en attendant leur tour de passer devant l’objectif. »
Il est possible que la photo ci-dessous du Sergent Léon Muhr, ait été réalisée par ce prêtre, ce qui expliquerait le prie-dieu, sur lequel il est installé, assez commode pour faire poser « à la chaîne » tous ces soldats !